samedi 14 novembre 2020

GOREE, UNE ÎLE TRISTE (REPORTAGE REALISE PENDANT LA FERMERTURE DE L'ÎLE)

Dans le cadre de la lutte contre la covid-19, le ministère de la pêche et des transports maritimes a pris la décision de suspendre la liaison maritime Dakar-Gorée il y a 7 mois. Depuis lors, cette île touristique dont les habitants vivent principalement du tourisme se voit fermée au reste du monde. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la vie socio-économique des insulaires.

Par quelques coups de klaxon, la chaloupe Coumba Castel vient d’accoster au débarcadère de Gorée. Cette Chaloupe qui de coutume transportait environ ‘’340 personnes’’ dont des Goréens, des touristes étrangers et locaux, de simples visiteurs, n’a transporté que des résidents de Gorée ce midi. ‘’C’est comme ça depuis que le ministère de la pêche a décidé de fermer la traversée maritime il y a 7 mois. Jusqu’à nouvel ordre, seuls les Goréens sont autorisés à traverser’’, indique le commandant de la chaloupe avant d’ajouter ‘’il y a même eu diminution des rotations. Maintenant on en fait 5 par jour au lieu de 12’’.

Une fois la chaloupe immobilisée, les passagers se précipitent vers la descente. Plusieurs d’entre eux étaient à Dakar dans le but de faire des courses. Parmi les bagages descendus de la chaloupe, on peut voir des sacs de ciments, des sacs de riz, des bidons d’huile, des bouteilles d’eau, etc. ‘’J’ai acheté des provisions pour deux jours. Par faute de marché à Gorée, nous sommes obligés d’aller faire nos courses à Dakar’’, confie Colline. Cette habitante de Gorée pratique un petit commerce avec sa mère devant leur maison, ‘’nous vendons de l’arachide, du maïs et d’autres aliments aux habitants de l’île et surtout aux visiteurs. Mais maintenant qu’on ne reçoit plus de visiteurs, non seulement on ne vend pratiquement rien, mais aussi notre île entière est triste sans son ambiance habituelle’’.

Sur l’île, la ‘’tristesse’’ tape à l’œil. La plage qui d’habitude se voyait prise d’assaut est complètement vide. Les hôtels et auberges sont fermés. Les chaises des restaurants se retrouvent classées sur les tables. Le ‘’cœur rouge’’ à côté duquel les visiteurs prenaient des photos pour immortaliser leur passage à Gorée est encerclé comme les scènes de crime dans les films.

‘’ On peut dire que notre île est morte’’ lance Hawa. Pour cette autre habitante de Gorée trouvée devant sa maison, plus rien n’est comme avant. ‘’ D’habitude pendant les vacances sur l’île il y a des touristes, des élèves, des gens qui viennent pour changer d’air etc. Mais depuis sept mois maintenant l’île est trop naze ; on ne voit plus personne ici. L’ambiance joyeuse de l’île à laquelle nous sommes habitués nous manque terriblement’’, Confie-t-elle le regard dans le vide.

Un peu loin de la maison de Hawa se trouve un restaurant qui comme les autres a dû fermer depuis le 15 mars. Ici, quelques jeunes goréens discutent de tout et de rien sur la terrasse. Pour le propriétaire Djibril Seck qui a hérité du restaurant qui est une entreprise familiale, ‘’la situation est très compliquée en ce moment. Ça fait sept mois qu’on est fermé. On ne vit que grâce à nos réserves et à la solidarité goréenne’’.

Près de lui se tient Mohamed Nabil Mbodg actif depuis cinq ans dans le guidage à Gorée. Selon ce jeune guide, le métier de guidage a pris un sacré coup depuis la fermeture de l’île, ‘’je n’ai plus aucune source de revenu et c’est pareil pour les autres guides. Quand on recevait encore des touristes, on ne se plaignait pas ; je faisais deux à trois tours par jour. Mais maintenant tout est calé sur l’île ; il n’y a que l’ennui’’ lance-t-il avant de rejoindre la discussion avec ses copains.

Sur l’île de Gorée, le métier de guidage est supervisé par le syndicat d’initiative et de tourisme de Gorée ‘’SITG’’. Interrogé sur le sort des guides, Mamadou Lamine Gueye coordinateur du ‘’SITG’’ confie que ‘’ tous les Guides de Gorée affiliés au syndicat et détenteurs de cartes professionnelles ont reçu chacun 500 mille Francs en guise de  soutien de la part du ministère du tourisme et avant la crise, un guide était payé à 8500FCFA par tour. Maintenant c’était à eux de pouvoir s’organiser pour pouvoir affronter les situations imprévisibles.’’

Il est appuyé par Mamadou Diop, chef de cabinet du maire de Gorée et directeur du centre culturel. Trouvé dans la salle informatique dudit centre, Mamadou Diop pense que cette situation devrait servir de leçon non seulement aux guides de l’île, mais aussi aux autres acteurs artisanaux, ‘’ Ils doivent comprendre que l’argent ne doit être systématiquement dépensé dès qu’il est reçu. A Gorée, un Guide arrive à combler en trois jours ce que nous nous n’avons pas comme salaire en un mois. C’est une grande teneur comme revenu pour quelqu’un qui sait faire de l’économie’’. Indique-t-il.

Toutefois, il estime que les conséquences économiques de la covid-19 à Gorée sont catastrophiques. ‘’ On vivait à 80 % d’activités touristiques  maintenant qu’on est privé de ça, on est réduit au néant on ne gagne plus rien du tout. En plus de l’aide apportée par la mairie, on a été obligé de nous cotiser ente nous (Goréens de la diaspora, les partenaires et amis de Gorée,..) C’est ce qui nous a permis d’accompagner les familles en leur fournissant des kits alimentaires et sanitaires’’, dit-il avant d’indiquer les provisions stockées dans le centre culturel.

Par ailleurs, Mamadou Diop déplore le fait que ‘’ la situation actuelle affaiblite psychologiquement les insulaires. Il est donc temps d’ouvrir Gorée pour lui redonner vie tant socialement qu’économiquement’’.

A quelques mètres du centre culturel, se trouve au bout d’un couloir la maison d’hôte d’Oumar Sy ; président du collectif des acteurs touristiques de Gorée et conseiller municipal. Ici, toutes les chambres sont fermées ; La maison n’a reçu aucun hôte depuis déjà sept mois. Les deux mains sur le palier du balcon et le regard fixé sur la mer, Oumar Sy confie que ‘’les Goréens vont mal ; le tissu social et économique de Gorée est gravement atteint. Voyez vous-mêmes l’île, c’est comme si la guerre venait de passer par là’’. Pour cet hôtelier, qui a plus de 26 employés, ‘’la fermeture de l’île a arrêté les recettes mais pas les dépenses’’ parce que dit-il ‘’ au premier mois de la crise j’ai payé mes employés à 80% de leur salaire habituel ; à 70% jusqu’au mois de juillet ; et 50% pour aout et septembre alors que ni mes hôtels ni ma maison d’hôte ne fonctionnent c’est une perte’’, dit-il avant de quitter le balcon.

Comme Oumar Sy, Olivier Cogels confie être ‘’au bord de la faillite’’. Trouvé dans la ‘’maison du consul’’ qu’il loue à Gorée à quelques pas de la plage, le propriétaire de l’hôtel Villa Castel se demande ‘’s’il ne faut pas déclarer faillite ou au minimum réduire le nombre de chambres’’. Pour cet hôtelier belge, ‘’ c’est une catastrophe il n’y a pas pire. J’ai dû mettre mes employés en congé et je dois prendre dans ma poche pour leur venir en aide en partie sans compter l’hôtel qu’il faut continuer à entretenir’’. Pourtant, il estime que ‘’il l n’y a plus vraiment de raison de fermer l’île. Moi je suis pour l’ouverture totale non seulement de Gorée, mais aussi des frontières. Avec la Covid, le pouvoir d’achat de la population locale a baissé ce qui va même affaiblir le tourisme local. Les familles qui pouvaient se permettre de passer un week-end sur l’île vont réfléchir deux fois avant de prendre la même décision’’, indique ce professeur d’université à la retraite,  spécialisé dans la lutte contre la pauvreté.

Dans le couloir qui mène à la maison des esclaves, seuls les chants des oiseaux se font entendre en boucle. En face de la maison se trouve le Musée De la Femme Sénégalaise. Trouvé assis derrière son bureau dans le Musée, le gestionnaire de Site et conservateur de la maison des esclaves, Eloi Coly pense quant à lui que c’est l’occasion de promouvoir le tourisme local. Mais pour ça dit-il, ‘’il faut lever la restriction sur Gorée et ajuster les choses : que ceux qui gèrent les hôtels et restaurants comprennent que le type de clientèle a changé, que les moyens ne sont plus les mêmes et qu’il faut continuer à offrir de la qualité mais à moindre coût afin de rendre viable les activités au lieu de mettre la clé sous le paillasson’’.

Par ailleurs, il pense aussi qu’il ‘’est plus que temps de rouvrir l’île aux visiteurs ne serait-ce que pour permettre aux populations de Gorée de profiter de la présence des autres. Ça pourrait donner vie à l’île qui est en train de mourir de sa belle mort’’. Pour cet administrateur du site Gorée patrimoine mondiale, ‘’si l’île a eu moins de cas, ce n’est pas parce qu’elle est fermée au reste du monde, c’est simplement grâce à la mise en place et au respect stricte des mesures barrières’’.

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